LETTRE OUVERTE A UN CONFRERE DE GAUCHE
Cher Confrère,
Le 11 janvier 2015 tu défilais dans les rues de Paris avec une pancarte « Je suis Charle ». C’était Charlie qu’on attaquait. Ce n’était pas la France. Ce n’étaient même pas les juifs de l’hyper-cacher. C’était le petit monde de Cabu, Reiser, et Cavanna, les créateurs de cet esprit de dérision que tu aimes tant et avec lequel toi et tes amis se sont complus à dissoudre la France.
C’était une attaque contre la « liberté d’expression », celle à laquelle tu tiens tant pour toi et tes amis, et qui disparaît par miracle lorsqu’il s’agit d’incarcérer un dissident pour un tweet ou lorsqu’une « association », c’est-à-dire une franchise de la police politique, poursuit un Zemmour devant les tribunaux pour délit d’opinion.
C’était bien pratique, l’esprit Charlie. Ca permettait de rester entre soi. Ca permettait d’éviter toute possibilité d’union contre des ennemis qui veulent nous anéantir. Ca permettait de conserver la fiction selon laquelle le vrai danger c’était les « dérives nauséabondes ». Car si l’on était susceptible de telles dérives, on n’avait pas sa place dans le clan Charlie.
Le 13 novembre cent-trente jeune Français ont été massacrés par les islamistes. Un léger doute s’est éveillé en toi. Tu ne comprenais pas. Les journalistes de Charlie Hebdo avaient caricaturé Mahomet, celui que, dans ta soif d’œcuménisme, cette soif qui n’est plus là lorsqu’il s’agit d’interdire une crèche de Noël, tu appelles « le prophète Mahomet ». Et les clients de l’hyper cacher, ils étaient juifs. Ce n’est tout de même pas très prudent, d’être juif. Un peu comme de porter une mini-jupe à Kaboul. Mais les jeunes du Bataclan et des terrasses de café, à qui on avait explosé la tête ou qu’on avait saignés comme des moutons, qu’est-ce qu’ils avaient bien pu faire pour mériter ça ?
Alors tu t’es inventé une autre histoire. Il fallait que ce soit toi qu’on attaque. Toi et tes potes. Pas la France, pas ce concept rance, obsolète, raciste, car vers quelles dérives n’irait-on pas si c’était la France, le peuple Français qui étaient attaqués ?
Comme d’habitude, tu t’en es tenu au concept. C’était un crime contre la fête. Contre la musique. Contre le sport. Contre le vivre ensemble. Bref, un crime de lèse-Hidalgo. Un crime conceptuel, dans un monde virtuel.
Tu professes que le savoir n’est qu’idéologie au service de la classe dominante. Quand à chaque fois tu nous explique que c’est toi qu’on assassine, et seulement toi, d’où parles-tu, Camarade ?
Tu n’as que mépris pour la religion chrétienne et défends l’athéisme et la raison. Pour toi, rien de plus dangereux que ces intégristes qui rejettent la théorie de l’évolution. Mais tu refuses de regarder en face les lois élémentaires de la vie. Tu es comme la souris qui s’imagine que le chat la dévore parce que sa patte est blanche. Et qui se dit que la prochaine fois, pour faire plaisir au chat, sa patte sera grise. Mais il n’y aura pas de prochaine fois. Et si le chat dévore la souris, c’est parce qu’elle est une souris. Telle est la loi élémentaire de la vie. Il vaut mieux être un chat qu’une souris. Surtout une souris blessée. Mais toi, depuis quarante ans, tu as tout fait pour nous transformer en un peuple de souris.
Alors, je te le demande, qui est le pire, du créationniste, ou du lyssenkiste ?
Tu te gargarises de l’ouverture à l’autre mais dès que l’autre en est réellement un, tu ne le comprends plus. Pour toi l’autre c’est quelqu’un de ton milieu, d’accord avec toi sur tout, et qui a le chic d’avoir des « origines » différentes ou une « orientation sexuelle » différente. Là s’arrête ta conception de la diversité.
Pourtant, vendredi soir, tu as eu une bonne leçon de diversité. Mais je doute qu’elle soit retenue. Tu ne comprends pas qu’il y a des gens qui puissent croire en leur religion. Tu ne comprends pas qu’une tribu puisse faire ce que toutes les autres tribus font depuis dix mille ans, partout, c’est-à-dire conquérir de nouveaux territoires avec son armée, et soumettre par la violence les populations de ces territoires. Tu ne comprends pas que l’autre, contrairement à toi, ne soit pas sorti de l’histoire. Tu es la souris qui ne comprend pas qu’il est dans la nature du chat de la dévorer, incapable de sortir de la superstition selon laquelle c’est parce que sa patte est blanche qu’il la dévore ; ou comme la souris qui fait semblant de croire que le monde n’est peuplé que de souris. Ton culte de l’autre n’est qu’une pause. Rien ne t’est plus étranger que l’altérité. Y compris et surtout celle qui s’étale sous tes pieds, dans le RER.
Tu tentes de te rasséréner en décrétant « ceci est une guerre ». Mais es-tu prêt à la faire ? On fait la guerre pour la gagner. Mais on ne la gagne qu’en étant un plus gros salopard que ceux d’en face. Va demander aux américains qui ont vitrifié Dresde et balancé deux bombes atomiques sur le Japon ce qu’ils en pensent. Ou à Giap. Ou à Massu. Tu ne gagneras aucune guerre en gardant les mains propres. Si l’on commence à éliminer les quelques 10000 salafistes qu’on a fiché, sans sommation, tu seras le premier à signer une pétition dans Libé contre la sale guerre. A jouer les porteurs de valises de l’Etat Islamique. A jouer les Jean-Paul Sartre. Tu connais ? Celui qui a écrit que tuer un homme blanc était un acte libérateur. Ils ont dû le lire, les tueurs de vendredi dernier. Ils nous le ressortiront dans leur prochain communiqué, entre deux versets du Coran.